01. La famille avant tout, toujours ; l'impression que c'est bien les seul·es qui ne trahiront jamais. Caballero jusqu'au bout des ongles, souvent bien malgré sa mère qui aimerait le voir aussi plus aimer sa moitié à elle ; mais y'a rien à faire, Rafael a trop de souvenirs gravés dans la mémoire avec celle de son père, Aida en tête de liste au vu de leurs âges respectifs ; celle à qui il écrit "je t'aime" sans honte ni fard, celle pour qui le téléphone est toujours allumée. Sa cousine est peut-être, finalement, sa moitié d'âme ; Raf se le dit souvent, en tout cas.
02. Et pendant longtemps, l'a cru aussi que la bande d'amis qu'ils formaient depuis l'enfance en était une autre aussi. Y'avait eu Mark et puis Lily ; trio inséparables de gamins qu'ont grandi ensemble, qui espéraient à chaque fois être dans la même classe, à se côtoyer dès que possible. Le lycée a un peu cassé les habitudes à l'époque, pour autant les trois se voyaient encore régulièrement ; pour des week-ends, des activités, les vacances aussi. Ouais, même en grandissant, y'avait cette envie de rester les mêmes, sans jamais vouloir se rendre tout à fait compte que c'était impossible. Raf se disait juste "
ça ira" sans jamais expliciter outre mesure ses ressentis, parfois des déceptions, d'autres fois des colères enfantines qui avaient tout l'air de poudre à canon mais qui, finalement, n'explosaient jamais très longtemps.
03. Le silence, ça blesse ; et pourtant, Raf ne semble être fait que de ça à présent. Des sourires de façades, des "
ça va" qui veulent tout et rien dire. On voudrait le voir plus vivant, mais ne se trouve l'être qu'en présence de certaines personnes ou des oiseaux. Le reste du temps, il est le fantôme de ce qu'il aurait pu être, si seulement il avait su s'exprimer. La liste des regrets est longue, pour un si petit bout de gars. Et il a beau vouloir noyer ses pensées, pour que sa tête devienne aussi silencieuse que lui, jamais il n'y parvient ; Raf est un mur condamné à entendre le vent souffler dans ses fondations, révélant toutes les failles sans arrêt. Autrefois agréable et vivant ; maintenant une boule de ressentiments et de frustrations que les années, à espérer que les choses changent sans jamais entamer quoi que ce soit, ont entretenus.
04. Mais il a raté le coche, Raf ; s'il avait parlé, à l'époque, peut-être que les choses auraient été différentes. Mark avait trouvé la soi-disant femme de sa vie et l'avait présenté aux deux autres avec tellement d'amour dans les yeux que jamais Raf n'avait osé lui dire que cette fameuse ne semblait pas aussi amoureuse. De son côté, c'était Lily qui, après toutes ses années à ne la voir que comme une amie, était finalement devenue un peu plus ; qu'il se perdait dans ses sourires et la beauté de ses yeux ; qu'il y avait ces flirts légers, comme deux amis le feraient ; à tâtonner le terrain en espérant ne pas perdre l'autre en allant trop loin. Si seulement il lui avait dit ; qu'elle était merveilleuse, le rêve de toute personne dans ce bas monde. Si seulement il lui avait dit ; qu'il tombait amoureux de ses rires et de la manière dont ses cheveux semblaient électriques par moment. Si seulement il lui avait dit ; que jamais il n'avait voulu embrasser la copine de Mark, que c'était elle qui l'avait fait et que ça l'avait paralysé sur place tant il n'avait pas compris ce qu'elle faisait, le pourquoi, le comment ; et surtout qu'il pensait à Mark, à la trahison qu'il ressentirait... Si seulement, oui. Mais le silence avait toujours été une plus fidèle compagne ; preuve en est qu'elle est restée, quand le groupe a volé en éclat que Raf est passé d'âme soeur à paria.
05. Les écorchures silencieuses étant les plus terribles, Raf a quitté toute sa vie à Portland ; un coup de tête pour ce gamin débrouillard ; mais il avait plus envie de fréquenter les humains, plus envie d'entendre leurs mots, de constater qu'il était lui-même humain et que son coeur était meurtri. L'a fui, Raf ; l'a fui, parce que c'était plus simple ainsi, que de toute manière il était jeune et que c'est ce que font les gens jeunes, non ? S'est barré, a découvert un autre coin et puis a pu faire ses études pour s'occuper d'animaux plutôt ; pas vétérinaire, parce que trop long, trop onéreux surtout ; soigneur, c'était suffisant pour avoir l'impression de changer rien qu'un peu le monde - ou du moins, le sien. Soigneur, c'est ironique aussi un peu, quand on a fui ce qu'on aurait pu encore faire guérir avec quelques mots. Mais les oiseaux n'ont besoin que d'attention et d'amour ; ça, il peut leur offrir sans souffrir.
06. Navigue depuis entre deux eaux ; son retour, il l'a organisé à Haven Springs, juste pour plus être aussi loin des racines mais ne peut être dans ce terreau qui l'avait vu grandir ; pour ne plus songer à chaque coin de rue où il avait entendu Mark et Lily rire avec lui, avant que les larmes ne ravagent tout. Haven Springs, c'était le silence ;
c'était le nouveau lui ; et il appris à connaître les lieux comme il avait pu s'appréhender lui-même. Découvrir, pour enterrer ce Rafael qu'il a détesté tant de fois mais que sa famille aime toujours ; et trop souvent, il a peur de les décevoir à leur tour ; et si Aida venait à le détester à son tour un jour ? Angoisse agrippant le coeur ; le même étrange, qui semble pas capable d'aimer comme à la télé, d'avec force et fracas ; juste ces derniers, quand finalement Raf dit à ses hommes et femmes qui le courtise parfois qu'il ne ressent rien en retour. Oui,
oui, il se sent en dehors du monde ; il lui semble être plongé entre océan et rivière ; avalé par les vagues ou pris dans le courant.
07. Alors il dessine beaucoup, Rafael ; depuis l'enfance même à vrai dire. Avant, c'était pour Aida, pour lui offrir quand les adultes faisaient plus attention à eux et qu'ils s'occupaient à la manière de gamin. Habitude plus ou moins gardé, transposés sur des cartes postales qu'il lui écrit souvent et sur laquelle il y a toujours un petit dessin ; d'un oiseau, d'une plante, d'un lieu, d'une personne ; d'un quelque chose qui a marqué la semaine ou le mois de Rafael. Mais d'une occupation d'enfant, c'est réellement devenue une passion, une manière de s'exprimer quand la bouche est incapable de délivrer les évidences qui pourtant le gouvernent. Alors il n'arrête pas, jamais ; on en trouve, des carnets gribouillées jusqu'à la moëlle ! Les croquis se superposent par endroits, quand l'imagination a finalement débordé, quand il s'emporte dans ses idées et qu'après tout, ce ne sont que des croquis, qu'il n'a jamais sacralisé ça de son côté. "Juste" des bouts de pensées, d'observation, d'amour ou de colère, jetés là, sur du papier blanc.
08. Le dessin est trop souvent politique ; des coups de gueules qui cassent parfois les mines des critériums qu'il utilise ; qui remplissent les espaces qu'on rêve de voler aux personnes queer. Rafael est aussi en colère pour ça ; parce que ses idéaux sont trop mis à mal partout dans le monde et que ça lui donne envie de hurler, sans cesse ;
pourtant il est silencieux ; alors, puisque sa parole n'a aucune importance, Raf crache le tout dans ses traits qui deviennent plus organisés que sur les carnets ; et la politique est là, partout dans ses oeuvres ; parce qu'il hait la société dans laquelle ils vivent ; parce qu'il hait ces Hommes qui décident pour eux ; parce qu'il est fier de son (ses) drapeau(x) et qu'il ne souhaite plus jamais rien subir. Ca à le mérite de faire le tri pour qui voudrait le connaître et qui n'ont pas les mêmes pensées.
09. Les piafs, au moins, ça n'a pas toutes ces questions sociétales là ! Rafael est passionné par leur intelligence, leur affection bien à eux (même s'il préférerait, toujours, qu'aucun ne soit imprégné d'eux) et toutes les petits détails nécessaires pour que l'animal se sentent bien. C'est tout un écosystème dans lequel il aime avoir réussi à faire sa place au fur et à mesure et qui lui permet, enfin, de décompresser et ne plus songer à toute cette tempête dans sa tête. Presque "dommage" qu'il doit partager cet espace avec Lily qu'est réapparue dans sa vie au travers du boulot ; et les rapports sont au mieux cordiaux, au pire froids ; et c'est terrible quand ça rappelle la chaleur qui s'installait dans le coeur autrefois, quand il l'a voyait.
10. Les plantes non plus, ça n'a rien d'emmerdant ; et puis c'est comme lui, ça ne cause pas ; ça laisse deviner ses émotions par le biais de nombreuses choses. Alors Raf en a beaucoup chez lui, juste pour se sentir entouré et parce que ça lui offre du réconfort. Chance qu'il a d'avoir la main verte ou plutôt toute l'attention nécessaire pour bien s'occuper d'elles toutes. Y'a même quelques légumes qui poussent en jardinière sur le balcon, même si c'est pas grand-chose, que ça suffit largement pas pour combler ses besoins ou celui de Sophie - une minette adoptée y'a un an suite à un troisième abandon pour elle - mais chacun semble apprécier l'odeur qui embaume ainsi l'endroit... Et Sophie adore l'herbe à chat mise dans une jardinière spécialement pour elle et qu'elle écrase trop souvent.
11. Et comme pour aller avec "tout ça", Rafael fait au mieux pour suivre une idéologie écologique qu'il est parfois compliqué de tenir ; mais il s'y essaye, au mieux, dès qu'il le peut. Remerciera jamais assez internet et les nombreux tutos qui ont pu fleurir sur la toile pour apprendre à faire ses propres produits ménagers et ce genre de choses ; il n'est pas rare de le voir choper du laurier au détour d'une balade à vélo afin d'en faire de la lessive ; de le voir enguirlander ses parents s'ils ne font pas le tri sélectif ; et bien d'autres petites choses comme ça qui, s'ils ne compenseront absolument jamais les dégâts des ultras riches, lui permettent de vivre avec une conscience à peu près correcte.
12. Orchid a été un coup de tête face à une énième situation où il n'a pas réussi à s'investir, parce que le sexe est un point trop central pour les gens, qu'il ne partage pas cette mentalité Rafael ; qu'il ne parvient pas à franchir le cap et que merde quoi, ça le fait se barrer à vitesse grand V quand ça commence à être un poil trop évoqué. Orchid a une drôle de promesse que Rafael s'attend même pas vraiment à voir être tenue, mais il reste séduit par la possibilité d'enfin autre chose, de tomber sur quelqu'un qui lui foutrait pas la pression et qui prendrait le temps de le connaître ; et peut-être même que son espoir le plus grand, même, c'est que ce ne soit même pas romantique au bout du compte... Peut-être que finalement, même après toutes ses années depuis la rupture du groupe, Rafael est à la recherche d'un temps où il se sentait bien ; sans réaliser que ça ne sera plus jamais comme avant, que l'apaisement ne reviendra sans doute plus jamais parce que le monde souffre ; et que lui avec, parce sous toutes les couches de silence... Il reste un être vivant comme les autres.